LE POUVOIR DES MOTS, Carole Darricarrère, auteur

Il n'y a en effet rien d'anodin concernant le placement des mots dans une ligne poétique. Ils entretiennent entre eux des rapports d'amour secrets, réinventent le langage et lui insufflent la vie. L'on pourrait tracer des "songlines" allant des uns aux autres et cela constituerait un poème en soi. La poésie libère les mots de tout carcan. Les mots sont choses inertes dès lors qu'ils sont séparés les uns des autres ou placés arbitrairement dans des petites cases dans lesquels ils perdent toute liberté d'expression et toute mouvance. Un mot aura toujours bien plus de choses à dire que ce que l'on veut bien nous faire croire, à condition d'aller à lui par des chemins buissonniers et non par les autoroutes du dictionnaire ou de l'usage courant. Il faut certes apprendre à bien construire une phrase avant de pouvoir apprécier toute déconstruction ou métamorphose savante. En poésie néanmoins rien n'est plus utile à la compréhension que le ressenti. Il faut donc apprendre à lire les yeux mi-clos. Le seul mot de "jardin" est saturé de sens. Il renvoie par exemple au sexe de la femme, au paradis, à la fécondité ; il sollicite à lui seul par avance tous les sens. Il ouvre littéralement des portes. C'est là le propre de la poésie : ouvrir des portes (y compris sur votre propre intériorité car la poésie fait le lien entre l'intérieur et l'extérieur, votre monde et le monde), créer des courants d'air, afin de dépoussiérer les mots des nuages toxiques cartésiens, ils se placeront alors d'eux-mêmes par affinités nouvelles et électives, et nous inviteront au jeu, à la joie, et à la danse.

Il faudrait réapprendre à aborder les mots comme s'il s'agissait de bonbons à laisser infuser en bouche afin d'en apprécier tous les développements ou bien des paquets-cadeaux, car il est bel et bien question de cela, les mots n'ont que des trésors à partager et offrir. La poésie est un genre qui sied aux esprits rebelles tant qu'elle invite à un déformatage de la langue autant que des esprits.

CAROLE DARRICARRERE, auteur ( L VE )